lundi 26 mars 2012

TERMIT 2112



NOTE DE L’ÉDITEUR

En cette année 3100, Il nous a semblé intéressant de publier ce récit d'un auteur inconnu, parce qu'il donne un aperçu assez saisissant du mode de vie des hommes, au siècle précédent , si différent de notre vie d'aujourd'hui.
Nous avons demandé à Inès N., historienne, renommée pour ses travaux sur cette période, de bien vouloir rédiger quelques notes pour éclairer le lecteur, sur certaines notions, sur des structures sociales et des mœurs qui pourraient lui paraître obscures.
La plupart des connaissances que nous avons actuellement sur ces périodes de l'histoire humaine, proviennent des documents numérisés découverts lors de l'expédition Satellius, dont l’objectif était la récupération de satellites “historiques” perdus par les générations précédentes.

                                                                         L'EDITEUR
                                                                           

“L’éthique du Commissaire a encore à apprendre
que dans l’organisation sociale
l’individu figure à la fois le zéro et l’infini.”
Arthur KOESTLER

                                                                                                                         MF-76-09-75-106.287-70, (Yann pour les copains) rentra chez lui par l'autoslip direct et le liftway diagonal 23.
Il regagna sa capsule individuelle, parallélépipède à coins arrondis de 12 m2, identique à toutes les autres, située dans le Bloc 1025, au 52ème étage de l'aile Est du TERMIT 103 .
Yann a terminé sa journée de Temps Collectif , c'est-à-dire qu'il a répondu à l'appel d'une dizaine de robots contrôleurs lui signalant par visiocom direct des probabilités d'anomalies dans le fonctionnement de l'autoslip desservant le Bloc 7000.
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Déjà, à cette époque, on ne parlait plus de "Travail", cette notion surannée qui évoque la peine et la sueur des sociétés révolues. "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front", disaient des anciennes Écritures . Mais il y avait encore ce qu'on appelait "le Temps Collectif", appelé ainsi parce ces quelques heures parfaitement réglementées  étaient  consacrées  au  fonctionnement et au bien-être de la collectivité.
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Bon technicien, Yann procéda aux vérifications, réglages et réparations des robots contrôleurs de sa zone, dans les 3 heures réglementaires de son Temps Collectif.
Comme il était consciencieux et qu'il aimait sa spécialité, il dépassa même de 5 minutes son temps réglementaire, pour achever une petite réparation , ce qui était plutôt mal vu de son Syndicat .
Enfin, il était chez lui !

La capsule de Yann était confortable, sans aucune ouverture sur l'extérieur, avec son bloc media multi-sens très complet et très perfectionnée. Il avait ainsi le monde entier à sa portée, ainsi que toutes les distractions élaborées et transmises par les  soins  de la Planification du Temps.
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L'explosion démographique anarchique qui a marqué la fin du XXI° Siècle, avant l'établissement des Reproducteurs Autorisés, dans tous les régimes politiques de la planète, a mis fin au concept "d’'immeuble", de "maison", et au mode de construction pratiqué dans les années antérieures.
A partir de cette période, quelques usines automatiques fabriquaient des "unités logements” individuelles, équipées, juxtaposables, dénommées "CAPSULES", identiques pour tous les habitants de la planète.
Ces "CAPSULES"- ou plus couramment "Caps"- intégraient les trois éléments vitaux fondamentaux : sani-couchage, alimentation et  media multi-sens, ce qui pouvait permettre à un individu de passer toute son existence dans sa “Caps” sans être contraint d’affronter “matériellement” le monde extérieur - lequel, d’ailleurs n’avait déjà plus qu’un intérêt utilitaire !
Un ensemble de "Caps" enclenchées les unes aux autres, suivant une conception architecturale pyramidale relativement uniforme, formaient un "TERMIT" qui pouvait s'apparenter à l'ancien concept "d'immeuble".

En réalité, les "TERMITS" étaient eux-mêmes tellement imbriqués les uns dans les autres, que les Cités avaient l'apparence d'un tissus urbain continu, innervé  par  les artères de circulation et les gaines de distribution des fluides.

La disparition de l'ancienne structure sociale dite "familiale" (vers l'an 2060) avait accéléré ce processus d'habitat.
Bien entendu, chaque individu, en tant “ qu'’unité sociale", avait droit à sa "Capsule", sur présentation de son certificat d'Intello-Conditionnement Universitaire. Il semble, toutefois, que de nombreux membres de la Nomenklature du Parti se faisaient attribuer deux ou trois "Caps" standards emboîtées en parallèle.
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Yann prononça le mot: ÉCRAN et, aussitôt tout le petit côté de sa capsule opposé au sas d'entrée s'éclaira d'une luminescence bleutée.
Il passa dans la cabine sanitaire où, en quelques instants, il fut lavé, brossé, massé, désinfecté. Il jeta un coup d'œil distrait à l'écran de son bilan médical permanent et il s'affaira à mettre de l'ordre dans sa capsule, car il avait convié la fille de la capsule 6375 du Bloc 1027 du même plan à venir faire l'amour et à vivre avec lui le 2324 ème épisode du self-feuilleton du canal 47.
Yann était impatient de savoir ce qu'elle penserait de sa version de l'histoire et si elle serait d'accord pour faire évoluer le scénario dans le même sens que lui.
Cette fille était immatriculée  FF-77-08-75-229.324-70, ce qui signifiait qu'elle avait un an de moins que lui et qu'elle était classée : Chômeuse Institutionnelle, comme d'ailleurs la plupart des gens qui habitaient ce TERMIT, mais il ne connaissait pas son nom.
Yann l'avait rencontrée quelques jours auparavant au NéoMacDo du Bloc 1027. Ils avaient sympathisé et bavardé le temps d'avaler leur Super "BB" Brouet-Brunch .
Elle lui avait raconté qu'elle avait fait des études à l'Université PARIS 17 et obtenu quelques diplômes : Socio-Idéologie et Organo-Chimie. Cette dernière spécialité lui avait permis d'exercer une activité assez intéressante, pendant quelques mois, comme stagiaire manipulatrice dans un labo spécialisé..
De toute façon, les diplômes universitaires, ne permettaient généralement pas d'accéder à un Temps Collectif régulier et elle avait opté, en fin de Cycle Instructif, sur les conseils de l'Inspecteur Idéolog du Bloc, pour être immatriculée comme "Chômeuse Institutionnelle” , catégorie Intello 4+., ce qui lui convenait parfaitement, car le Bonus Salarial qu'elle aurait retiré d'un quelconque Temps Collectif ne compensait pas, à ses yeux, la contrainte des 3 heures réglementaires.
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L'état de "CHÔMEUR INSTITUTIONNEL était - selon nos estimations - celui de 80 à 90% de la population .
Cet état avait longtemps été considéré comme inadmissible, scandaleux et comme une tare fondamentale des anciennes sociétés "Socialo-Capitalistes".
Les sociétés dites "Socialistes", ou plutôt "Planificatrices", car l'appellation "Socialiste" est assez floue et recouvre en réalité des types de sociétés disparates, qui n'ont en commun qu'une organisation plus ou moins planifiée et autoritaire de l'activité économique, donc sociale, avaient érigé en principe la suppression du "Chômage".
La conséquence fut, dans le meilleur des cas, un gaspillage difficilement concevable d'énergie humaine, la plupart des emplois s'avérant totalement inutiles et anti-motivants, provoquant une épidémie de suicides chez ceux qui en avait conscience  et dans le pire des cas, une véritable organisation de "travail" forcé.  
Le  développement   de   robots   et  d'androïdes  de  plus en plus performants et une rationalisation totalement automatisée de la production et de l'activité économique en général, ont finalement permis à l'humanité de se dégager complètement de cette antique nécessité du "TRAVAIL" et par la même occasion de son aura sacralisée.
Évolution accélérée par le développement parallèle des techniques sensorielles, qui réduisirent considérablement les besoins matériels individuels et les désirs des humains, puisque le merveilleux monde virtuel  auquel ils pouvaient désormais accéder avait progressivement remplacé un monde réel  ingrat, hostile et dévoreur d’énergie.
Ceux qui avaient  accès au  "TEMPS COLLECTIF"  réglementaire ( 3 heures, 4 jours par semaine, vers l'an 21OO), étaient plus motivés par l'intérêt d'une spécialisation technologique que par un "bonus salarial" modeste, s'ajoutant à leur S.M.I U.
(Salaire Minimum Individuel Uniforme).

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Yann avait laissé son code à la fille.  Ainsi, elle entra directement dans la capsule, sans qu'il soit obligé d'annuler la protection électronique automatique.
- Salut !
- Salut ! répondit Yann, tout en vérifiant ses paramètres de Life-Confort: température, légère surpression atmosphérique, pureté de l'air insufflé, degré hygrométrique, tension d'électricité statique, sans oublier, bien sûr, la pression du fluide de son matelas hydraulique, qu'il durcit légèrement.
Elle sourit.  Saine, rose et fraîche, elle enleva tout de suite son joli jog-jean tango-fluo et son pull mode en gloss-velvet noir.
Nue, elle s'allongea sur le matelas hydro et lui tendit les bras.
Yann pris le temps de poser à même la moquette un plateau avec deux canettes de Cocavod et une assiette d'Energo-cracks. Ils avalèrent leur pilule anti-virus et ils firent l'amour, sans plaisir extrême, mais avec la conviction nécessaire pour que cela soit bien fait, car c'était la première fois qu'ils coïtaient l'un avec l'autre et, bien sûr, ils s'appliquaient. Ensuite, ils burent leur Cocavod en grignotant les petites  pastilles  vertes croustillantes et énergétiques, tout en échangeant quelques mots.  Mais, en vérité, ils n'avaient pas grand’ chose à se dire !


“... ils n'avaient pas grand’ chose à se dire !”... en effet, parce que dans cette société fonctionnant comme une horloge bien réglée, il ne se passait rien, hormis quelques accidents et les actions terroristes habituelles (nous y reviendrons plus loin).
L'équilibre dissuasif des "blocs" antagonistes neutralisant les risques de guerre, la santé relativement constante et les grandes maladies des siècles précédents enfin maîtrisées, la vie politique et ses bouleversements socio-économiques inexistants, l'activité économique mondialement planifiée, et robotisée, tout cela faisait que la population passait la plus grande partie de son temps devant les murs-écrans ou à faire l'amour, d'autant plus que c'étaient les seules "activités" entièrement gratuites! !
La distribution continue d'images, de sons et de sensations à toute la population était considérée comme une nécessité vitale, au même titre que l'alimentation. En outre, c'était un facteur de cohésion idéologique.
Déjà à cette époque, la "vraie" vie n'était que ce qu’on programmait sur les écrans, tout le reste n’apparaissant que comme une fiction, aussi nécessaire que désagréable.
Cette "inversion", progressait dans toutes les Fédérations et préfiguraient l'évolution humaine des temps  futurs,  d'autant plus que certains sociologues-idéologues influents n'y voyaient que des avantages et estimaient - avec raison - que cette inversion fiction/réalité devait être la phase ultime de l'évolution  de l'homme. Le point d’orgue étant sans doute la suppression programmée du corps physique, aussi inutile que fragile.
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Vite habillés, ils s'installèrent confortablement dans les coquilles relax, face au mur-écran et Yann, élevant la voix et articulant soigneusement, appela le Canal 47, code 2-27-3-3-88, puis il donna son code personnel: 32-K195, afin de recevoir sa version personnelle du self-feuilleton à l'instant de son dernier épisode. 
Il prononça "RE-SUM", ce qui fit apparaître un bref résumé de l'histoire - ceci afin que sa compagne puisse participer au nouvel épisode. En effet, elle-même avait fait diverger l'histoire dans une direction  différente.

La première séquence du nouvel épisode se déroula et après un jingle familier, le visage d'une animatrice robotisée éblouissante couvrit tout le mur-écran.
Celle-ci, leur demanda d'une voix sensuelle qui contrastait avec l'expression figée de son sourire :
- Alors..... voulez-vous que Jorewitz tue Yacob, ou bien que Yacob se sauve  et ameute les Blacks Rangels ?...  Et voulez-vous qu'Irinia fasse l'amour avec Russ ou avec Stankin ?...
Vous avez 4 minutes pour répondre !
Et maintenant, une page de d'endocpub.! 
A tout de suite, mes chers Amis !
- Qu'en penses-tu ?.... au fait, comment tu t'appelles ???...
- Sayonna.
- Qu'en penses-tu, Sayonna ?... Comment tu répondrais ?...
- C'est bien, ta version.  Mais évidemment, pour moi c'est très différent...Yacob est mort depuis longtemps - je l'aime pas ce type !  et Jorewitz a fichu une raclée aux affreux Black Rangels. Pour Irinia,  elle est amoureuse  pour-de-vrai, alors elle a pas envie de  baiser avec Russ, ni avec comment ? Stankin. Moi je l'ai pas celui-là !
- Écoute, Sayonna, je propose de laisser filer Yacob, comme çà les bagarres dureront plus longtemps et pour ce qui est d'Irinia on dirait qu'elle fera l'amour avec les deux ensemble! Hein ! ça sera plus marrant !
- Oh ! Toi alors ... terrible çà !... Bon, OK, on va bien rigoler, mais j'aime quand même mieux ma version.  C'est..comment on disait ? plus..."romantique".

Le jingle fit vibrer la capsule et l'adorable visage de l'animatrice apparut.
- Mes chers Amis...Avez-vous réfléchi ? Que va-t-il se passer maintenant ?"  
Yann répondit aux deux questions en donnant sa version du déroulement de l'histoire.
L'animatrice lui adressa son sourire sexy standard et son image s'estompa très doucement, pendant qu'elle murmurait: 
- Bonne soirée, mes chers Amis, nous allons interroger l'ordinateur. Prochain feed-back dans exactement 40 minutes...

Yann et Sayonna se regardaient en souriant. Ils étaient bien.  C'était une chouette soirée.
L'écran restait uniformément gris-bleuté, tandis qu'une voix synthétique se faisait entendre :

PRE MIERE QUES TION OK.
DEU ZIEME QUES TION  PO SIBLE UNI QUE MENT EN  MODE   X...CON FIR MER .

- Dis-donc, on va avoir un méchant porno.  T'est OK ?
Sayonna s'esclaffa
- D'ac... tu sais, je préfère ça à la bagarre.  C'est l'ennui avec vous, les garçons, toutes les histoires, c'est toujours tout plein de bagarres, de coups, de morts, de sang... yen-a-marre !
Le self-feuilleton se déroula jusqu'à une heure avancée de la nuit et les deux jeunes gens, unis par leur complicité, faisaient évoluer l'histoire au gré de leur fantaisie.

Sayonna était entrée parfaitement dans le jeu et discutant un peu pour le principe, approuvait les versions proposées par Yann.  Elle suggéra même de faire évoluer sa propre version vers le point où ils étaient arrivés ce soir, afin de repartir -  si l'on peut dire-  du même pied.
En complète harmonie, les jeunes gens décidèrent de faire encore l'amour avant de se quitter et cette fois, leur plaisir fut plus intense.
Sayonna lui dit qu'elle avait programmé pour le lendemain de rencontrer Mikoff, un bon copain, mais qu'elle lui dirait qu'elle n'avait pas envie de coïter avec lui. Elle préférait revenir chez Yann pour faire ça.
Ils s'embrassèrent rapidement et elle disparut dans le sas ovale.

Le lendemain, dès son retour de son “Temps Collectif”, Yann s'entendit appeler par le visiocom.  C'était Sayonna, dont la voix hésitante lui dit qu'elle était désolée, mais que, vraiment, elle ne pouvait venir chez lui ce soir : une amie avait besoin d'elle pour l'aider dans quelque démarche administrative lourde de conséquences et, bien sûr, elle ne pouvait refuser.  Yann était ennuyé, mais la raison invoquée ne le surprenait pas outre mesure.
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En effet, la moindre entorse aux règlements, la moindre manifestation de déviation idéologique, ou tout simplement la moindre attitude non-conformiste entraînaient une kyrielle de difficultés avec toutes sortes d'autorités -
Les Inspecteurs Idéologs veillaient !
Ces "déviations" étaient le plus souvent causées par simple étourderie ou négligence et il était coutumier de s'entr'aimer entre relations.
Les choses n'allaient jamais bien loin, car personne n'avait véritablement envie de se trouver "en marge" d'une société dont la stabilité - et même la rigidité - étaient basées sur un large consensus de gens qui s'y trouvaient bien, totalement
pris en charge et sécurisé.
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Il fut tout a fait rassuré quand Sayonna lui précisa qu'elle viendrait le lendemain..
Yann n'avait quand même pas envie de rester seul !
Il appela plusieurs codes sans obtenir de réponse et finalement il pu joindre Alik, une vieille copine fidèle, qui lui dit que, justement elle pensait à lui et que cela lui ferait plaisir de passer le reste de la journée avec lui.
Très vite, elle s'annonça sur le module de sécurité.  Yann appela l'ouverture du sas et l'embrassa gentiment sur ses lèvres pailletée d’éclats brillants.
Yann savait qu'Alik n'aimait pas tellement les self-feuilletons.  Elle préférait la musique synthétique ou encore les jeux d'adresse qui lui permettait d'exercer sa dextérité.
Cela arrangeait Yann, car il n'avait pas envie de perturber son feuilleton en l'absence de Sayonna.
D'abord, ils s'étendirent sur le lit hydro pour faire l'amour.
Yann ne l'aimait pas tellement sur ce plan là - elle était trop  grassouillette ! - mais il était poli et il savait qu'elle aimait faire l'amour avec lui.  Et puis il avait sa fierté !

Ils s'installèrent ensuite dans les coquilles-relax et après avoir réglé un fond sonore discret de musique synthétique, ils attaquèrent leur jeu.
Ils programmèrent une invasion de gnomes qu'il fallait attraper au lasso graphique. Alik était visiblement très habile à ces jeux et on sentait bien qu'elle s'y exerçait chaque jour.

Il y  eut  toutefois  une  brève  interruption  du  programme: un signal sonore assez désagréable retentit, préludant à une information officielle importante.  En effet, l'image de la grille de jeu s'effaça et un Communicateur au visage carré, s'inscrivit sur le mur-écran :
<< Nous informons la population que les "Anarans" viennent de frapper une nouvelle fois notre cité.   Une bombe  tactique, du type Minus U, a explosé à 19h37 dans le centre technique du TERMIT 220, provoquant la destruction d'une centaine de capsules.  Les victimes sont nombreuses, mais pas encore totalement dénombrées, ni identifiées.
Le secteur visé du TERMIT 220 abrite en majorité des Inspecteurs Idéologs  du Ministère Central.
Le type de bombe utilisé, ainsi que la cible visée, désigne tout naturellement les lâches terroristes des “Anarans”..>>
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Les INSPECTEURS IDEOLOGS (appelés familièrement les ILOGS) formaient un corps de fonctionnaires d'élite, directement rattachés à L'ORGANE  (Comité Politique Central).
Ils étaient omniprésents dans la vie quotidienne du citoyen.
Leurs attributions étaient aussi nombreuses que mal définies : orientation des jeunes, surveillance de la population des Termits, détection des déviationnismes, conseils dans le domaine administratif, formation civique, etc.
Ils étaient à la fois les "guides" des citoyens et leurs "surveillants".
Ils n'étaient pas des policiers, mais téléguidaient ceux-ci plus ou moins ouvertement.  Appréciés ou détestés, ils étaient unanimement respectés !
Ils formaient une véritable aristocratie  de fait.
Ayant reçu une formation idéologique profonde, ces Inspecteurs Idéologs étaient les garants de la stabilité et le la continuité du régime.
Généralement intègres, certains d'entre eux avaient néanmoins tendance à abuser de leur pouvoir et de leur quasi-invulnérabilité, mais cela restait néanmoins assez marginal, en raison des risques encourus.
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La voix du Communicateur poursuivit :
<< Les Autorités nous demandent de préciser que tout sera mis en œuvre pour rétablir, dans le plus bref délai, les circuits Écrans et les visiocoms des Termits affectés par l'explosion...>>
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Il est intéressant de préciser, qu'appliquant une tactique très élaborée, les terroristes plaçaient leurs bombes de façon à détruire le maximum de circuits alimentant les Capsules habitées, privant ainsi la population de toute réception sur les Écrans.
Cette tactique avait des effets particulièrement pervers, car, comme nous l' expliquions auparavant, tous les individus qui avaient le sentiment de vivre leur "vraie vie" à travers les émissions "interactives", se retrouvaient brusquement plongés dans la réalité, complètement anéantis devant leurs Écrans noirs dans un silence insupportable. Ces “Caps” devenues sourdes, muettes, aveugles !
Ils sombraient dans une dépression telle, qu'il s'ensuivait immanquablement des suicides en série.
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Et le Communicateur conclut :
<< Nous rappelons que L'ORGANE a proclamé que la vigilance des citoyens est la vertu civique n°1 et que tout citoyen dont les informations permettront de démasquer et de liquider ces bandits antisociaux, armés par les forces obscurantistes et réactionnaires sera élevé au rang de Héros du Mérite Civique et que son SMIU sera doublé. >>
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"L'ORGANE", C'est ainsi qu'on désignait le "COMITÉ POLITIQUE CENTRAL"  qui  était  l'organe  du pouvoir politique collégial de chacune des Fédérations.
La  fiction,  entretenue  dans  de  nombreux  pays aux siècles précédents, d'une "séparation des pouvoirs", entre le "Législatif", "l'Exécutif" et le "Judiciaire", n'avait plus cours. Après une période où des "Chambres" et des "Parlements" de principe étaient conservés - plutôt pour les avantages matériels et les honneurs que leurs membres en retiraient, que pour des raisons idéologiques - les  structures du pouvoir s'étaient simplifiée et reflétaient comme aujourd’hui la réalité politique concrète.
"L'ORGANE" concentrait toutes les formes du pouvoir, mais c'était néanmoins un pouvoir collégial.
Les membres de ce Comité étaient élus par les DP (Délégués populaires) des Provinces.  Depuis que les États et les Nations avaient disparu au profit des Fédérations Continentales (il s'agit ici de la Fédération Européenne, allant de l'Atlantique à l'Oural), les Provinces "Autonomes" constituant chaque Fédération élisaient au "suffrage universel",  c'est-à-dire que tous les citoyens pouvaient et devaient voter  leurs DP (Délégués Populaires), dont le rôle unique était précisément d'élire, ou plutôt de coopter en secret les membres de l'ORGANE.
Les Provinces correspondaient plus ou moins aux  régions naturelles ou aux ethnies, qui,  pour des raisons culturelles ou historiques, avaient longtemps lutté pour leur indépendance vis-à-vis des anciennes Nations. (par exemple: Provinces Basques,  Kurdistan, mais  aussi : Bavière,  Écosse, Tibet, Bretagne, etc... D'autres Provinces correspondaient à d'antiques "royaumes", d'autres à des petits états  structurés de longue date, comme la  Suisse).
En fait personne ne connaissait les membres de l'ORGANE, ni même le lieu de son siège. C'était une sorte d'entité du pouvoir, dont les décisions étaient sans appel, nullement critiquables et nullement critiquées !
Il convient de noter avec quel respect, mêlé d'une certaine crainte, était prononcé le mot ORGANE. En réalité, on évitait tout bonnement d'avoir à en parler !
Certains chercheurs émettent l’hypothèse que le véritable ORGANE était totalement indépendant du pseudo  ORGANE, issu de la cooptation des Délégués Populaires.  Fiction maintenue au nom du “suffrage Universel”. Évidemment, ce n’est qu’une hypothèse, non corroborée par des éléments probants.
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La face carrée du Communicateur disparut de l'écran et le jingle familier annonça la reprise du jeu.
Yann et Alik ne firent aucun commentaire et se replongèrent dans leur partie. Ce genre d'annonce était assez fréquent et il n'y avait guère de semaine sans qu'un attentat plus ou moins meurtrier ne soit commis dans la cité ou quelque part dans l'une des Provinces de la Fédération. La routine, en somme !
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L'Action terroriste couvrait l'ensemble de la planète et comme les régimes politiques étaient très voisins d'une Fédération à une autre, les motifs de contestation violente étaient pratiquement les mêmes, favorisant ainsi l'établissement d'une "Multi-Fédérale" du terrorisme. Seules quelques divergences d'origine culturelle ou historique différenciaient les nombreux groupes armés de cette contre-puissance, parfaitement coordonnée par un état-major, se nommant COORDINATION RÉVOLUTIONNAIRE jamais détecté, ni même identifié.
C'était, en quelque sorte, "l'ANTI ORGANE".
Dans cette structure idéologique de la terreur se retrouvaient des anciens Écologistes ou Ecolo-pacifistes (on les appelait jadis: les "Verts"), les Libertaires, les Autogestionnaires, les Anarchistes,  les Alternatifs, des anciens Syndicalistes, des fanatiques des anciennes religions éteintes, des baroudeurs et désaxés de toutes sortes, appuyés par des "intellectuels" fumeux, théoriciens nostalgiques des temps anciens, apôtres d'une "société nouvelle", jamais définie, ou encore vénérateurs d'une "nature" inchangée où les métropoles n'existeraient pas.
En bref, s'y retrouvaient tous ceux qui refusaient la vie quotidienne, matérielle et mentale, imposée par le système social  établi, unis par une seule volonté de destruction, bien  incapables  qu'ils  étaient  de proposer une alternative positive  et crédible à la Société haïe et viscéralement hostiles à toute structure d’ordre.
Cette force d'action violente et aveugle ne différait pas fondamentalement de celle qui sévit dans notre société actuelle, et qui, en fait, a toujours existé, sous des formes et des appellations différentes.

La constatation d’une sorte de concordance morphologique chez ces révolutionnaires a donné lieu à des débats animés au sein de la communauté scientifique, les uns y voyant une véritable mutation humaine, voire l’action d’un gène non identifié, les autres un simple effet biochimique dû à des agents naturels mal connus.
Cette armée révolutionnaire mondiale n'avait pas de nom et les différents groupes d'action opéraient sous couvert de dénominations fluctuantes et ponctuelles, souvent en rapport avec une situation locale, une mémoire historique, ou le souvenir d'un des leurs, érigé en "martyr", par exemple: Groupe d'Octobre - Armée Anti-Informatique - Comité Yorik, etc...).
L'information officielle  ne tenait aucun compte de ces appellations "messages" et désignait tous ces terroristes comme étant "les Anarans”, appellation réductrice qui fut rapidement adoptée par la population.
La permanence de l’action terroriste, au fil des ans, la parfaite organisation de ces groupes armés, l’utilisation de technologies avancées et cette surprenante impunité dont ils jouissaient, ont  amené les historiens à penser que cet “anti-Organe” pouvait être en fait une émanation de L’ORGANE lui-même !
L’objectif pouvant être double : d’une part, canaliser et encadrer les irréductibles antisociaux et d’autre part, fidéliser la population au régime, par besoin viscéral de sécurité.
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Yann s'ennuyait ferme avec cette fille et ses petits jeux ... 
Il la laissa jouer seule et passa en revue avec beaucoup d'attention son stock de rations, livré quelques jours auparavant  par le  Sup*Miam  local. Il en  choisit  deux sur son écran et effleura la touche sensitive correspondante, pour que le Hi-Frek lui prépare leur repas.
Une note grave l'avertit et deux petits plateaux contenant chacun  une ration chaude,  un verre de Cocavod,  une salade d'algues, un stick de plancton protéiné et trois biscuits énergétiques, glissèrent sur la grille de réception.
Yann mit les plateaux sur l'encoche des coquilles-relax et mangea sans appétit. Il ne se sentait pas à l'aise, le message de Sayonna le rendait songeur.
Toute concentrée sur son jeu, Alik piochait distraitement les petits morceaux de son repas.
Enfin, ce fut fini.  Elle avait gagné.  Elle était heureuse  et elle s'en alla.,
Yann s'étendit sur son hydro, rendu plus moelleux et s'endormit instantanément.

Le lendemain, quand il eut fini son "Temps Collectif" et réintégré sa "Caps" douillette, le visiocom lui restitua un message de Sayonna: "OK POUR CE SOIR JAI MERAI RES TER TOU TE LA NUIT AVEC TOI". 
Cela le surprit quelque peu, mais il en fut tout heureux .  Décidément, cette fille lui plaisait bien !
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Ce détail est assez significatif.   En effet, il n'était pas habituel que des "amoureux" décident de rester ensemble durant la nuit. Les "Caps" étaient vraiment conçu pour l'individu et non pour un couple. D'ailleurs, la notion de couple n'existait pas. Deux individus qui avaient une attirance réciproque, avaient tout loisir de se rencontrer aussi souvent qu'ils le désiraient
 (le verbe "coïter"  faisait partie  du langage courant, alors qu'il choquait dans le siècle précédent, par sa brutalité animale).
Les" sentiments", dans le sens que l'on donnait autrefois à ce vocable, avec son cortège d'autres vocables, tels que "amour", "passion", "tendresse", avaient déjà perdus toute signification.
L'amour" n'était qu'un désir sexuel plus ou moins durable, une envie d'être ensemble devant le mur-écran, devant le même programme - ce qui n'empêchait nullement de "coïter" avec d'autres individus, entre deux rencontres.
En définitive, les rapports entre individus étaient essentiellement pragmatiques, matériels et éphémères.
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Yann eut à peine le temps de se laver, de mettre un peu d'ordre dans sa "Caps", que Sayonna, toujours souriante, fraîche et rose, franchit le sas ovale. Ils s'embrassèrent  longuement et Sayonna alla elle-même commander quelques gourmandises au distributeur Hi-Frek, qu'ils croquèrent en rigolant.
Ils se déshabillèrent et s'allongèrent sur l'hydro.
Yann caressa longuement la fille.  Ils avaient tout le temps devant eux. Ils avaient toujours tout le temps devant eux !  D'ailleurs, tout le monde avait toujours tout le temps... Mais la décision qu'ils avaient prise de passer la nuit ensemble leur donnait une nouvelle sensation du temps et ils le goûtèrent pleinement.
Il lui donna le plaisir qu'elle attendait et il fut comblé. Fatigués, ils s'endormirent enlacés, comme ils se trouvaient.

A l'aube, Yann se réveilla, soucieux.
Il n'arrivait pas à se débarrasser d'une idée.
Une idée que le premier message, embarrassé, de Sayonna avait fait surgir et qui se transformait maintenant en soupçon.
Sayonna dormait paisiblement.  Yann fit quelques pas dans la capsule, la tête entre ses mains. Il revint auprès de Sayonna et déplaça très délicatement son bras droit.
Il n'y avait pas de doute.  La "signature" se trouvait bien là, dans le creux de son coude. Il constata qu'elle en avait une autre, plus petite, sous le poignet gauche...        
Yann n'arrivait pas à le croire. Cette fille si belle, si souriante, si heureuse de vivre... ce n'était pas possible ! Pourtant, c'était l'évidence. Il savait qu'il ne pouvait reculer.
Le risque était beaucoup trop grand et puis son sens civique, ou plus exactement son conditionnement, comme celui de toute la population était tel que la question ne se posait même pas ! Ce n'était ni du "devoir", ni de la peur, bien qu'un Ilog ait pu la voir entrer dans sa "Caps"... c'était tout simplement un automatisme inculqué.
Yann hésita quelques instants. Elle était trop chouette, cette fille et il ne pouvait accepter ce qui devait lui arriver. Non qu'il eut une connaissance précise de son sort - personne ne savait exactement ce "qu'ils" devenaient - mais la rumeur décrivait leur anéantissement en des termes horribles et s'y ajoutait la certitude d'une vengeance féroce de la part de certains Inspecteurs Idéologs.
Ne pouvant supporter ce que son imagination lui laissait entrevoir, Yann s'approcha doucement de Sayonna, toujours souriante dans son sommeil.  Il la regarda quelques instants, lui caressa les cheveux avec infiniment de délicatesse. Elle se réveillait doucement, s'étirant de tout son long, les yeux encore fermés
 Alors, il l'étrangla...

         Yann resta encore un long moment à regarder le jeune corps immobile.
Il revint lentement vers le visiocom, prononça le code d'urgence-milice devant l'écran et appela ensuite "son" Inspecteur Idéolog.
- Je suis MF-76-09-75-106.287-70. J'ai découvert que j'avais reçu chez moi une terroriste des “Anarans”. Son matricule est FF-77-08-75-229.324-70.
Elle n'a pas voulu se laisser prendre. Elle s'est débattue. J'ai dû malheureusement la tuer pour la maîtriser. je viens d'appeler la Milice  sur le code d'urgence.
- Comment l'as-tu identifiée comme terroriste ?
-Elle portait sur elle la "signature", ainsi qu'elle a été décrite dans la circulaire 727 CIV. , distribuée par la Protection Civile dans tous les Termits:  des points mauves concentrés sur plusieurs  endroits  de son  corps.
-Bravo ! ta perspicacité et ton courage seront récompensés.  Ne touche à rien.  J'arrive !
Yann était triste. Il avait la nausée. Il n'arrivait pas à réaliser pleinement ce qu'il venait de faire. Il regarda encore le corps inerte, dont un bras pendait le long de l'hydro. Toujours aussi belle, épanouie, avec un reste de son éternel sourire au coin de la bouche.
        
La Milice arriva quelques instants plus tard, accompagnés des équipes spécialisées dans l'enlèvement des cadavres, avec tout leur matériel.
Vint ensuite l'Ilog, souriant, triomphant, pérorant,  important,  comme  si tout le  mérite  et la gloire de cette capture lui revenait. Après les constatations d'usage, les spécialistes, encagoulés et silencieux, glissèrent le corps de Sayonna dans une enveloppe de plastique translucide qu'ils scellèrent et recouvrirent le tout d'une deuxième enveloppe également scellée.         
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Les pratiques funéraires n'étaient pas tellement différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui.
Les corps étaient rapidement enlevés, par des techniciens spécialisés, munis de combinaisons étanches. Le corps, nu, était glissé dans un premier sac en plastique souple, translucide, scellé sur place. Il était ensuite glissé dans un deuxième sac en plastique épais, noir, puis emmené dans une sorte de cocon en plastique dur, formé de deux coquilles s'emboîtant l'une dans l'autre. 
Arrivé à l'INCINERIUM automatique, des robots mécaniques extrayaient le corps de son cocon, le plaçaient sur un chariot roulant qui disparaissait dans le four à haute fréquence, puis, les cendres étaient agglomérées avec de la résine, compactées dans un moule ,  polymérisées et gravées du n° matricule du mort.
Il en résultait une brique standard, de couleur gris clair, qui  était  transportée  avec  toutes  celles  produites dans la journée sur le chantier de L'ARC DU MÉMORIAL, gigantesque monument funéraire, jamais terminé   puisqu' il  s' y  ajoutait,  chaque  jour,  les briques des morts de la journée.
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Tout le monde se retira. L'Ilog posa sa main sur l'épaule de Yann  “Encore bravo ! Tu passeras demain à 9h au bureau du Commissaire pour faire ta déposition. J'y serai. 
Bonsoir !”
Bonsoir ! Cela le fit sursauter. Bonsoir... Bonne soirée  en effet, se dit-il...
Il regarda l'hydro vide. Il s'assit et il pleura longuement. c'était trop rapide, trop bête, trop...injuste.                                  
Mais qu'y pouvait-il ? Il n'avait fait que ce qu'il devait faire. Rien de plus, rien de moins, rien d'autre.

Il se sentait seul.  trop seul.  vide.
Machinalement, il s'approcha du visiocom et appela la liste des circulaires d'instructions civiques,  puis, demanda la circulaire 727 CIV. Celle-ci s'inscrivit aussitôt sur l'écran.  Il lut:

                  "... alors qu'il est demandé à chaque citoyen une vigilance accrue et un engagement personnel pour faire face à la pression terroriste des “Anarans”, il est important que chacun connaisse certains des moyens d'identification qui permettent de les repérer. Ces terroristes sont très difficilement repérables, étant tactiquement comme des "poissons dans l'eau" parmi la population et totalement intégrés dans celle-ci.
En revanche, dès qu'ils sont passés à l'action, c'est-à-dire dès  qu'ils ont manipulés des explosifs et en particulier, dès qu'ils ont participé à la fabrication des tristement célèbres bombes Minus U, ils ne peuvent empêcher certains composants chimiques de la bombe de laisser sur leur épiderme des traces indélébiles, en raison des moyens rudimentaires de mise en œuvre, dont ils disposent.
Ces traces prennent la forme d'une série de points ou de     cercles  mauves  indélébiles, concentrés  sur plusieurs  endroits  du corps."

Yann arrêta un instant sa lecture.  Un gros sanglot envahit sa gorge. 
Il regarda l'hydro et resta songeur. Il revoyait l'image de leurs deux corps enlacés dans la jouissance de l'amour. Il pensa qu'il n'avait jamais lu cette circulaire touffue jusqu'au bout. Il lut la suite:

"... Il est toutefois nécessaire de souligner que certaines professions faisant partie du Temps Collectif peuvent provoquer des symptômes similaires. En conséquence, il est recommandé dans le cas ou des signes de cette sorte seraient détectés, de se renseigner discrètement sur l'activité professionnelle de la personne suspectée, et en cas de doute, d'en référer à votre Inspecteur Idéolog... etc...etc..."

Yann était atterré. Il avait soudain l'impression que son sang ne circulait plus, qu'il cessait de vivre... Il fit un effort pour réfléchir...
 Il ne se souvenait plus très bien de ce que Soyanna lui avait dit de son activité d'étudiante, avant qu'elle ne devienne "Chômeuse Institutionnelle". Pourtant... oui, il s'en souvenait... c'était bien cela : il était question de d’organo-chimie.
Sa certitude fit place au doute et il savait que ce doute vivrait autant que lui, qu'il serait toujours présent en lui, lancinant, le torturant chaque  jour...
Que  jamais, jamais il ne saurait la vérité.
Mais au fond de lui-même, il la connaissait, cette vérité !
Yann se coucha sur le sol - il ne pouvait envisager de s'étendre sur l'hydro - Il ne pouvait empêcher ses larmes de couler et sa cervelle de tourner... de tourner.  Et puis la fatigue le terrassa et il sombra dans un sommeil comateux.
        
Yann ne se rendit pas le lendemain chez le Commissaire-Juge pour faire sa déposition officielle et subir un test d’évaluation de son Coefficient de Discernement
Il appela son Ilog qui vint tout de suite le rejoindre, inquiet. Yann lui déclara qu'il était malade, une sorte d'état de choc que l'Inspecteur trouva tout à fait normal.  Bon prince, il lui accorda  8 jours de repos complet et lui donna quelques drogues reconstituantes et euphorisantes qu'il avait dans la poche de son blouson noir laqué. Il lui confirma qu'il avait fait le nécessaire pour le doublement de son SMIU.
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6 mois plus tard...
Tous les écrans de toutes les "Caps", de tous les Termits de la métropole, annoncèrent que l'un des plus dangereux terroristes des “Anarans” venait d'être identifié et arrêté.
Il faisait parti d’une cellule terroriste dite “dormante” parfaitement intégré dans son milieu, donnant toute satisfaction dans son comportement et son travail, en l’attente de sa réactivation.
Malheureusement, lors de son transfert, il avait réussi à s'échapper du véhicule de la police et à se jeter dans le vide bordant l'autoslip, se tuant sur le coup, cent mètres plus bas sur le toit d'une capsule.
Il avait le matricule MF-76-09-75-106.287-70.
Le Communicateur rappelait que ce même individu avait étranglé une autre dangereuse terroriste, six mois plus tôt... Probablement un règlement de comptes entre factions rivales...