mercredi 2 avril 2014

Le TROU BLANC

Tout le monde connait les 'trous noirs".
On sait qu'ils existent, mais personne ne sait
ce qu'ils sont.
Les savants non plus, d'ailleurs.
On sait seulement qu'ils bouffent tout.
Bon appétit.

Pas la peine de chercher.
Nous saurons peut-être le jour où ils nous boufferont,
si on a le temps.
Moi, en revanche, je suis beaucoup plus captivé
par ce que je nomme "les trous blancs".
Je m'explique :

La marche du monde orchestre la disparition
de presque tout ce que l' homme a créé et
son remplacement par d'autres créations.
Il ne subsiste en final que quelques antiquités, témoins de vies antérieures
et heureusement préservées, et même sanctifiées aujourd'hui.

Voir disparaître une maison, un immeuble, un lieu
quelconque où l'on a vécu, où s'est écoulé une tranche
de votre vie, avec tout ce que la mémoire fait resurgir,
est certainement chargé d'une intense émotion.

Mais quand il ne s'agit que du "remplacement"d'un décor par un autre décor,
et des hommes par d’autres hommes, la charge émotionnelle
est infiniment plus faible que devant un vide !
C'est ce que j'appelle le "trou blanc".

J'ai travaillé plusieurs années dans le cadre des bureaux d'une vieille usine poussiéreuse,
à la marge de Paris, dont on a délocalisé le siège et les deux usines,
vers une banlieue toute neuve, en construction.

C'est tout un quartier de Paris qui a disparu sous un gigantesque tas de gravats.
Au dessus, le ciel vide… Que la mémoire remplit !

Mon bureau… il était bien là ? Non, un peu plus à gauche,
Peut-être un peu plus haut ?…
Est-il possible que quelque chose ait existé là,
avec son cortège de vies, de joies, de drames, d'événements. là ou il a plus que: rien!
un ciel infini !

Et puis là-bas, plus haut… il y avait bien cet atelier incroyable, auquel on accédait
par une échelle en bois, vestige oublié d'une époque antérieure, que j'avais mission
de ,rationaliser et de rentabiliser,
Avec sa dizaine de braves "ouveriers" aux tabliers de cuir, moustachus, dévoués,
qui ne se posaient jamais de questions  et n'en posaient jamais !
Et plus loin, plus bas je me souviens de ce placard à balais, dont la légende
prétendait qu'il abritait quelques désertions temporaires du temps où le genre
n'avait pas encore été inventé.
Et puis…et puis…
Cette batterie d'armoires-ordinateurs, alignés comme les soldats des Kims,
fierté d'une nouvelle génération de cadres branchés des années glorieuses.
Leurs bandes ronronnaient dans une ambiance de société secrète, en
débitant d'ailleurs pas mal de conneries…
où était elle, cette chapelle ?

Tant d'autres souvenirs que la mémoire apporte dans son passe-plats pour
une dégustation sélective !
Plus bas, à droite, le lourd coffre-fort du Président, violé par un escadron 
de policiers barbouzes en arme, à la recherche de collabos et d'ennemis
de classe et qui ne contenait qu'un pot de confiture pour les petites fringales
de mon paternel

Maintenant, devant cet espace vide, ce trou blanc, une nuée d'hirondelles
me crient:
Et ça, et ça, tu te souviens ?
Bien sûr...

Mais peut-être que ça n’a jamais existé ?