mardi 2 octobre 2012

Le MIROIR


Iris était une grande et jolie fille élancée, de style nordique, avec de beaux yeux  d’eau marine
et des cheveux d’or clair formant un petit casque.
Un peu en dessous de la trentaine, saine, gaie et bien dans sa peau,elle avait un léger côté bobo, habitant dans le cinquième et revendiquant une modernité de bon aloi. 
Employée dans une petite galerie d’art, elle traquait les objets rares ou insolites, qui faisaient la bonne réputation de sa galerie.
Rapidement elle était devenue la maîtresse et la conseillère de son patron, le propriétaire de la galerie. 
Un homme d’affaire élégant, plus âgé qu’elle, décontracté, raffiné, amateur de beaux objets.
Il lui faisait bien l’amour, était prévenant, tendre et spirituel.
Bref, Iris était heureuse, bien que les contraintes professionnelles ne les éloignent assez souvent.

Visitant un vieux château en Dordogne, dont les propriétaires mettaient en vente une partie du mobilier ancien. Iris fut tout de suite séduite par un beau miroir de provenance lombarde, dont elle se porta acquéreuse.




Le propriétaire lui confia que curieusement ce miroir avait été vendu plusieurs fois dans le passé et était toujours revenu au château !
Iris négocia et acheta le miroir.
Elle le fit livré chez elle, ayant décidé de le garder quelque temps avant de le placer dans la galerie,
ce qu’elle faisait souvent quand un objet lui plaisait beaucoup.

Iris déballa le miroir et le promena dans son studio.
Il fallait trouver un emplacement privilégié pour refléter son image dans les meilleures conditions.
Un copain vint lui donner un coup de main pour l’accrocher solidement sur le mur tapissé de jute neutre.

Satisfaite, elle se regarda dans le miroir.
L’image que lui renvoya le miroir l’intrigua : Son regard était dur, intense et semblait la scruter.
Pourtant, Iris était décontractée et plutôt enjouée.
Elle n’y pensa plus et s’occupa d’autres choses.
En son absence, les courriels s’étaient accumulés et il fallait rapidement faire le tri.
Le train-train de la galerie repris le dessus.

Ce soir là, Iris pris contact avec ses copines pour organiser une “petite bouffe” entre fille, dans leur habituelle brasserie du quartier.
Ce fut joyeux et l’une d’elle, excellente conteuse, régala le petit groupe des dernier gags parisiens.
De retour chez elle, Iris se regarda dans le miroir.
Elle riait encore, se rappelant certaines des bonnes histoires de la soirée.
Mais ce qu’elle vit dans le miroir la stupéfia : C’était bien son visage, mais elle se tordait de rire, secouée de spasmes, les larmes aux yeux !
C’est excessif, pensa t'elle, incrédule...

Quelques jours plus tard, Iris rata plusieurs affaires et eut à résoudre un litige avec un client.
Visiblement en colère et de mauvaise humeur, elle rentra chez elle excédée.
Machinalement elle regarda son miroir qui lui renvoya son image de furie prête à mordre.
“J’en ai déjà eu des échecs... Ce n’est jamais qu’un épisode !
Et c’est pas vrai ! Je ne chiale pas comme çà, comme une bécasse !”
Elle demeura perplexe.

Mais cette fois elle s’inquiéta vraiment.
C’était évident que ce miroir déformait son image.
Le verre était en bon état, quoique légèrement dépoli par le temps et le tain paraissait intact.
Il lui semblait que le miroir lui renvoyait l’ image de ses sentiments profonds, comme une sorte d’amplificateur de son moi réel.
Étrange.

Dans les jours qui suivirent, elle s’ingénia à observer l’image du miroir en fonction de ses réactions mentales, ce qui confirma cette hypothèse.

Maintenant Iris avait pris goût à regarder l’image restituée par le miroir en constatant à quel point elle était le reflet amplifié de ce qu’elle éprouvait dans les circonstances variées de son quotidien.
Elle l’aimait de plus en plus, son beau miroir, le considérant comme un ami fidèle, un conseiller, qui l’obligeait ainsi à s’interroger, à maîtriser ses émotions.
“Oh ! Miroir, mon beau miroir, que montres-tu de moi, aujourd’hui ?”

Pour être plus près de lui, Iris le décrocha et l’installa sur un lourd chevalet d’acajou qu’elle empreinta à la galerie.
Ainsi, elle pouvait l’enlacer, caresser son verre lisse et poser sa joue contre le verre tiède.
Il lui semblait même que le miroir lui parlait doucement à l’oreille...
C’était devenu une relation presque charnelle
Ses amies, son amant, ne la reconnaissaient plus, tellement elle avait changé en si peu de temps.
Pensive, moins enjouée, elle donnait l’impression désagréable d’être toujours ailleurs.

On ne revit plus Iris.
Quelques temps plus tard, son patron devait prendre des décisions.
Une copine d’Iris l’avait remplacée dans la galerie et tout naturellement dans le lit du patron.
Celui-ci, soupçonnant le miroir d’être pour quelque chose dans cette étrange affaire,
décida de ne pas le mettre en vente et de le restituer à son château d’origine.
D’ailleurs, en se regardant dans le miroir, il ne distingua qu’une image brouillée, à peine reconnaissable.

Arrivé dans ce village du bout du monde, il demanda où se trouvait le fameux château.
Quel château ?
Vous voulez parler de cet informe amas de ruines...
En haut de la colline... Depuis plusieurs siècles ?