lundi 13 juin 2016

dialogue avec ma camarde - 6



La CRÉATION

Cet inextricable réseau de tuyaux de glandes, de fibres, de liquides, de nerfs, de cellules spécialisées, qui se bousculent dans un espace restreint, se nuisant parfois ! Seul le squelette, chef d’oeuvre incontesté de  mécanique,  semble  avoir  été  conçu  par un sublime ingénieur, mais tout le bidouillage organique pourrait être qualifié d’approximation bricolée !
J’imagine ce dialogue désopilant: “Hé ! Jules, j’la met où cette petite glande mauve ? J’ai pas la place !”
D’accord, je me répète, mais cela m’obsède...
Cela conforte ma négation d’une “entité créatrice” de l’homme et de tous les êtres vivants.
Je crois plutôt à une “autocréation” permanente.

Mais, alors, cette autocréation n’existerait qu’au niveau de “l’espèce”, puisque l’individu en est totalement exclu, ne s’en aperçoit même pas et n’a pas son mot à dire !
Et pourtant elle est prouvée, cette évolution des espèces vivantes, soit au cours de très longues périodes, soit plus brutalement par des mutations mal connues.
Cela voudrait dire que l’espèce est une sorte de graine originelle dont découle tous les individus de cette espèce, qui se transformeront ensuite dans une évolution continue et même divergente.
Et en toute logique, on réhabilite le concept d’une ”entité créatrice” de la graine originelle !...
Mais peut-on imaginer que cette “graine” créatrice ait décidé de mettre une petite cravate blanche au col d’un canard !...
Vertige.........

Après tout, ma chère Camarde, tu pourrais peut-être m’en dire un peu plus ?
- Non ! Ma fonction est bien précise : J’enlève la vie.  Point ! 
-  Pas sympa, la Camarde !…
C’est ton côté fonctionnaire de l’au-delà…
- Tu sais, à force d’inspirer la peur et d’être détestée par la totalité de mes clients, j’ai quelques difficultés à paraître sympa.
Mais cela n’empêche pas une certaine compassion.
D’ailleurs, tu surestimes mes capacités : Mon âme, si elle existe s’est évadée depuis longtemps et je ne suis en réalité que le miroir de ta propre imagination.  Un alias, en quelque sorte !
Si je suis ici aujourd’hui, à bavarder avec toi, c’est justement pour t’habituer à moi, à ma présence de plus en plus constante,  mesure que  ta fin approche, que la dégradation progressive de tes capacités s’accélère.    
Il faudra bien qu’un jour, je me décide à te dire : Viens avec moi, mon chéri, c’est l’heure !
Oui, je sais.

DIALOGUE AVEC MA CAMARDE - 7

 NOUVELLE RÉDACTION et sans doute la dernière !...

C’est l’heure…

Et sans doute, je penserais : C’est l’heure…
Ou plutôt  « es la hora »,  car tu me fais penser
à cette vieille gouvernante espagnole, croque-mitaine de mon enfance !
Ma duègne, austère vierge hispano basque au chignon bien serré, toujours sanglée dans un étroit corset rose chair, dont je volais les baleines, instruments de jeux !
Au dessus de son lit, une grande litho A2 de la vierge noire, avec sa parure en or…et une photo de Franco…

Pourquoi je pense à elle, aujourd’hui ?
Sans doute parce que j’ai le sentiment d’avoir toujours traîné une duègne dans le sillage de ma vie !
Celle dont le rôle est dicté par cette formule très british:    « look and say don’t ».
Dans leur rapport avec les hommes, toutes les femmes se  comportent, à certains moments, comme des duègnes...
Mais que sont devenues les muses d’antan, les muses provocatrices, inspiratrices ?    
Celles qui vous poussent en avant, qui vous jettent des défis pour mieux vous admirer, au lieu de freiner sans cesse votre désir d’action et de risque avec l’objectif de vous remplacer !

Le risque est masculin.
Le principe de précaution est féminin.
Et ce principe vertueux permet aux femmes de conquérir le monde, patiemment mais sûrement !
… avec une  inébranlable bonne conscience.

L’ Homme a conquis la terre.      
La Femme conquiert l’humanité
Toi aussi, ma Camarde, tu joues les duègnes en m’enlevant le libre arbitre de ma mort et le choix des armes (hors suicide)!

Je me revois dans le caillouteux et poussiéreux jardin du Luxembourg – côté nord - l’anti-nature.
Je joue avec les copains, ou plus exactement, comme tous les gosses, nous nous disputions pour savoir à quoi nous allions jouer.
« Moi je serais le bandit et toi tu seras le gendarme » (on dirait le keuf aujourd’hui).
« Non ! C’est moi qui serais le bandit, parce que mon pistolet est plus gros que le tien. »
« Et Arlette serait la fille du shérif… »
Sauf qu’aujourd’hui, Arlette aurait une kalachnikov en PVC et  que personne ne lui contesterait la direction des opérations !
Et ça durait, ça durait…
Soudain la voix de la duègne : « Frannnçois, es la hora. Es la hora de la merienda ».
Patatras ! Tout s’écroulait.
Je glapissais « On n’a pas fini d’jouer…
On n’a même pas commencé ! »
« Es la hora, ven aca ! ». C’était, sans appel…
Et cet horrible goût de la merienda…
Ce breuvage innommable et tiédasse extrait d’un thermos remplit d’un peu de thé, de lait plein de peaux, de petits Lus écrasés, qui n’avait que le goût métallique de la précieuse timbale en argent… Beurkh !
    Le même scénario se répétait le soir:
«  Frannnçois ! Es la hora del bano »
Et cette odeur âcre du chauffe-eau à gaz en cuivre rouge…
C’est L’HEURE… et tout s’arrête.

C’est ainsi que toi, ma Camarde, tu m’appelleras.
Tout s’arrêtera : Projets, actions, idées, mais aussi ennuis, préoccupations, joies et peines.
Tout ce que je voudrais encore faire, tout ce que je n’ai pas fini, pas connu, l’indispensable, le futile, le passionnant, l’emmerdant…
Et aussi l’évolution du monde à venir.
Enfin tout ce qui fait la vie Le plus frustrant, dans le vieillissement , est de constater que le monde bouge en dehors de soi !
Pendant des années, j’ai fait bouger une infime parcelle du monde. Infime, bien sûr, mais c’était mon domaine, mon œuvre et j’en étais heureux et fier !
J’ai créé, persuadé, dirigé, et conseillé des hommes et des femmes, lutté pour mes convictions.
Et maintenant ?
L’écoute des autres est tout juste polie, un rien condescendante ou bien même absente, même dans ma propre famille.

Pourtant le monde bouge, vite et mal et je n’y peut rien !
Le déclin du monde occidental s’accélère.
Les menaces se précisent.
Mon cher pays, aveuglé, poursuit son suicide, entamé depuis des lustres et dont seuls quelques grands réalisateurs entretiennent l’illusion, vers un monde nouveau qui sera essentiellement collectif  !
La termitière humaine se construit.

« Nous avons gagné ! » s’égosille le populo-électeur, ignare, grossier, baignant dans son mauvais goût, sa rigolade et ses certitudes obsolètes, mais s’identifiant à ses héros !
Et le monde tourne et je ne peux que le regarder…

Pourquoi diable mes chers compatriotes, ont-ils adoptés le coq comme emblème national ?
Ce volatil (si l’on peut dire), stupide, cruel, orgueilleux, braillard, paillard, n’a que son plumage pour séduire…
Et en plus, on en fait des girouettes sur les toits !
Bravo…   
Peut-être parce qu’il est le reflet de ce que nous sommes devenus.

Pitié, madame la Camarde !
Encore un peu de temps !
Que je puisse voir vieillir mes enfants, vivre mes petits-enfants dans leur vie d’adultes et grandir mes arrière petits-enfants.- (tous ces adorables petits mutants du 21 ème siècle…).
Qu’ils puissent se souvenir de moi autrement que comme une cartouche sépia sur un des derniers arbres généalogique !

- Es la hora ! Et puis toi, je te connais…
Tu n’auras jamais, jamais fini.
Tu constates ta dégradation progressive et l’inutilité de tes projets.
Toute ta vie tu as couru après tes projets !
Tu en as rattrapé et accompli quelques-uns, raté d’autres, mais tu sais très bien que, maintenant, tes projets ne sont plus que de rêves...
En réalité tu finalise les affaires courantes, comme un fonctionnaire licencié…
- Alors, relaxe ! Sois zen !
Estime-toi heureux que ton intégrité physique et intellectuelle soient encore à peu près respectées, mais suppose qu’au lieu de t’emmener tout de suite, je t’inflige quelques-unes de ces implacables misères, non mortelles, qui paralysent toute activité, tout effort ?
Le choix est vaste et mon imagination sans limites !

- j’y ai déjà songé et avoue que tu as sérieusement commencé !
C’ est fou ce qu’on peut faire et créer avec une simple boite d’allumettes et un tube de colle.
On peut construire un monde… un monde imaginaire.   
Des architectures sublimes, des machines  inconnues, des décors de rêve …
Mieux encore,  avec mon Mac, je peux accéder d’un clic à toute la connaissance du monde… Voir, lire, écrire, apprendre, communiquer, dessiner, jouer, écouter, créer.
Me créer, pour moi tout seul, un monde mythique, virtuel…
Et même voyager dans le monde entier avec Google !
Survoler la terre, comme dans une bulle transparente et silencieuse !
C’étais le rêve de ma mère !

-   Mais si je t’abîmais suffisamment pour que tu ne puisses même pas accomplir toutes ces choses que tu imagines pouvoir combler une existence amoindrie ?
Et si je coupais l’usage de tes doigts et de ta vue et si je dégradais ta lucidité, ta faculté de penser, d’imaginer ?
- Alors, chère Camarde, de grâce, emmenez-moi vite…
J’aurais vraiment fini d’jouer !

Mais dis-moi,  salope,
là-bas, est-ce qu’enfin JE SAURAIS ?
Et cette âme, si elle existe, sera t'elle vraiment MOI ?

- Tais-toi et viens.