vendredi 1 avril 2011

"J'aurais dû ?...J'aurais pas dû ?


Les aiguillages de la vie
Avec l’âge, il vient quelquefois à l’esprit le jeu un peu maso du « j’aurais dû…j’aurais pas dû… ».
Autrement dit : J’aurais dû accepter telle proposition, ou telle opportunité.
A l’inverse, je n’aurais pas dû prendre cette décision-là…

En corrigeant cet exercice par « j’aurais pu… j’aurais pas pu… », paramétrable de 0 à 10, car dans toute décision, le libre-arbitre n’est jamais total.
Exercice excitant qui conduit à imaginer le devenir de sa propre existence, suite à une décision antérieure, même d’apparence anodine.
L’exemple type qui vient immédiatement à l’esprit est celui du mariage : Changer l’heureux élu(e) et c’est toute votre lignée qui aurait été autre, jusqu’à la fin de l’espèce !
Imaginez tous vos gosses et au-delà avec 50 % de gueules et de personnalités différentes… Impensable !
Et si par malheur vous avez semé votre petite graine par inadvertance, c’est toute une lignée que vous aurez fabriquée et qui n’aurait jamais existé sans votre distraction d’un soir !
« J’aurais pas dû ! ». Trop tard !

Le plus souvent, ces aiguillages de la vie vous tombent dessus, sans que vous y soyez pour quelque chose.
Mais il y a aussi des aiguillages que l’on se forge de toutes pièces.
L’aiguillage le plus dramatique qui s’est présenté dans ma vie a été sans conteste ce double aiguillage après le décès de mon père et ensuite le transfert de mon job à Cergy-Pontoise.
La voie de gauche : le statu quo.
Je conserve le château, que je vends par la suite, pour ne garder que la ferme attenante (en quasi-ruine) et la moitié des bois qui deviennent mon centre d’intérêt et d’activité principaux.
Conviés aimablement de quitter notre immense appartement de la rue du Regard, loué depuis avant ma naissance, nous achetons un nouvel appartement dans le XVI ème et un autre, dans le même immeuble, pour y loger ma mère.
Un certain tropisme bellifontain familial a certainement pesé dans la balance !
La tentation de la voie de droite : Nous vendons tout et nous nous faisons construire une belle maison à notre goût et à nos possibilités financières, avec un grand jardin.
Tentation forte, car je suis passionné d’architecture et j’ai plein d’idées iconoclastes à ce sujet !
Nous avons opté pour la voie de gauche.
J’aurais pas dû ?

Quelques années plus tard se présente le deuxième aiguillage.
En pleine expansion, la Société qui abrite mon job décide – sous la contrainte gouvernementale – de construire un nouveau Siège Social à Cergy, dans le nord-ouest de Paris.
Nous avions le choix entre plusieurs « villes nouvelles ».
Bien entendu, mon lobbying personnel met la pression en faveur d’Evry.
Trop visible… tout le monde se marre, connaissant mes motivations personnelles, alors que la majorité des employés de la société réside dans le nord de Paris !
Raté.
Alors apparaissent les deux voies de l’aiguillage.
À gauche, le statu quo : On conserve un appart plus petit, car les enfants ont pris leur vol, mais à Puteaux, plus facile d’accès pour Cergy et, bien sûr, la Grange St. Eloi , notre résidence secondaire de week-ends, avec tous les aléas financiers et de transport.
La voie de droite : même scénario que précédemment.
On vend tout et nous nous faisons construire, etc, etc.
Le tropisme bellifontain se rappelle à lui et nous prenons la voie de gauche.
J’aurais pas dû ?

Dans le domaine professionnel, si je revois certaines étapes de ma propre existence, plusieurs aiguillages se sont brusquement trouvé sur ma route, m’obligeant à choisir l’une des directions proposées, avec toutes les conséquences prévisibles ou non !
J’étais en pleine phase d’expansion dans la création d’une agence de communication globale, intégrée au sein de l’entreprise et que je voulais propulser – avec moi ! - au niveau du « top management », ce qui n’était pas évident à cette époque.
Une importante relation professionnelle et amicale me propose de prendre la direction de la communication européenne de l’une des plus grosse sociétés textile mondiale !
J’aurais dû… J’aurais pas dû ?
C’est en phase finale des entretiens que je me suis volontairement sabordé.
Je n’aime pas le textile !
Quelle aurait été ma vie sur ce nouveau rail ?

Quelques années plus tard, mes patrons m’incitent fortement à prendre la direction d’une des principales branches de produits, me faisant miroiter que cette nouvelle responsabilité me conduirait tout naturellement à une fonction équivalente à l’International - et plus, si affinité !.

Passionné par mon activité et doutant de l’avenir de cette production, je refuse.
On n’a pas aimé…
J’aurais pas dû ?
… Mais cette ligne de produits s’est, par la suite, cassé la gueule, devenue obsolète face à de nouvelles technologies concurrentes.

Autre épisode : Début de la mondialisation. Dans un premier temps, on centralise les opérations au niveau Européen et un siège est créé à Genève.
Cette fois, c’est vraiment tentant !
La coordination de la « COM » Européenne à Genève, pourquoi pas !
…Je rêve : une belle maison au bord du lac et, bien sûr, un joli voilier sur le lac !
Mais il fallait tout lâcher. Repartir à zéro. Perdre St. Eloi et tout ce que j’y ai fait depuis des années et puis l’éloignement familial !
Sans compter la tête inverse de ma chère épouse…
J’aurais dû ?
Je refuse.
… Mais je propose d’accepter le poste dans la mesure ou je reste à Paris. Na ! Prétextant avec une certaine hypocrisie que toute mon inspiration et le succès de mon équipe et de l’outil que j’avais forgé, prennent leurs sources à Paris.
Refusé !
Heureusement !
Car le siège de Genève a été rapidement transféré à Bruxelles…et le mec sympa qui a accepté ce poste s’est rapidement envolé pour suivre son épouse, cantatrice à la Scala de Milan.
Et j’ai quand même été coordinateur de la com européenne, pendant quelques années, à Paris !

À travers ces exemples vécus, on peut comparer une existence à un réseau ferroviaire !
Des lignes droites, des larges courbes, des virages serrés et surtout un certain nombre d’aiguillages à deux ou trois voies, qui vous obligent à choisir une voie.
Et tout le restant de vos jours, vous vous direz :
« J’aurais dû ? J’aurais pas dû ? »
Certains de ces aiguillages ne vous donnent même pas le loisir de choisir.
Le chef aiguilleur a choisi pour vous !