vendredi 15 juin 2007

Délicieuse insomnie...

“...There are more things in heaven and earth, Horatio,
Than are dreamt of in your philosophy...”
HAMLET - Acte 1 - Sc V.

Rêve...Rêverie...Images mythiques

Il était là, debout, planté devant mon lit, me regardant.
Beau gosse, blond, sportif, pur produit des jeunesses hitlériennes.
Il s’appelait Jochen.
Il était venu en 1938 en vacances, dans le cadre d’un échange linguistique familial.
Il apprit le français, mais moi je n’appris pas l’allemand !
Depuis - et pour cause - il disparut de mon univers.

10 ans après la guere, il était là. bien visible.
Il ne se passait rien, mais il était là, comme s’il voulait me parler.
Deux jours plus tard, je recevais sa longue lettre. Il avait perdu un bras en Russie avec son orgueil et sa foi et vivait dans sa Thuringe natale, en zone “rouge”. Il était instituteur.
Je lui ai répondu et n’en ai plus jamais entendu parler.

Rêve prémonitoire ? Transmission de pensée ?
Choisissez.

La Nuit.
La notte... nuit italienne, douce, joyeuse, empreinte de senteurs épicées.
A Santa Margharita, les filles déambulent sur la place, devant l’église.
Provocantes, cornet de gelati à la main, le corps moulé dans des robes trop serrées, aux couleurs trop voyantes, les talons trop hauts, elles sentent sur leurs reins le regard des coqs.
Les croupes ondulent...

La noche... nuit espagnole, chaude et lourde.
Les jardins de Grenade.
La fontaine coule son cristal liquide dans le bassin du patio.
Fraîcheur et senteur de la pierre mouillée.
A travers les grilles forgées, on imagine des aveux sans espoir, des amours farouches. Tout là-bas, un chant rauque, un chant douloureux, une passion inassouvie...

The night... the knight...
La brume givrante recouvre la lande.
Le Chevalier se distingue à peine, ombre grise dans ce décor gris.
Quelques reflets de lune ricochent sur son heaume.
Le martèlement sourd des sabots rythme le silence gris..
Une sorcière, cachée dans le creux d’une souche, ricane et glace la nuit. Elle connait le destin.
Sous le heaume relevé, il n’y a que des os et plus de regard.
Le destrier poursuit sa route sans fin.

Oh! merveilleuse insomnie. Le sommeil qui échappe comme une boule de bilboquet et laisse la pensée errer, libre de son choix, parcourant l’espace et le temps à sa guise, butinant le dictionnaire de la mémoire, comme une abeille un champs de fleurs, s’arrêtant deci, delà, sur les pages mal connues, mal explorées, associant les idées, les souvenirs, les concepts enfouis, dans une logique aberrante, aussitôt balayée, refusée par la raison, aux premières lueurs du jour.
Pensée qui crée des décors, des personnages, des histoires, au gré de sa fantaisie propre ou de la nôtre ?

Abolition de la durée, suppression de la distance, la pensée survole les océans et les montagnes. JE VIS cette nuit sarde, lointain souvenir de croisière. JE SUIS dans ce jardin de Grenade, dont je peins le décor, tel que je me plais à l’imaginer - ou plutôt que mon cerveau se l’imagine, car je n’ai aucune part volontaire dans cette peinture et ce décor - JE CREE ce Chevalier fantôme, errant éternellement dans cette lande de Cornouailles...
Je tourne une nouvelle page.

Ai-je rêvé ? Oui. Je me suis retrouvé dans ce village connu, construit le long d’une pente abrupte, dont les ruelles étroites tissent une trame ondulante entre des maisons hautes, vaguement médiévales ou peut-être alsaciennes. Ce village existe-t-il ailleurs que dans mes rêves ? L’ai-je créé, en toute inconscience ? Ou bien m’a-t’il été imposé ? Est-ce un symbole ?
Je m’y retrouve parfois. Je le connais, bien que souvent je m’y égare. “On” m’y poursuit. Je veux m’échapper. J’y arrive pendant quelque temps. Soudain, je suis complètement perdu, dans l’une de ces maisons à l’architecture tarabiscotée, dotée de multiples étages, couloirs, courettes, au milieu de gens qui me regardent passer, sans étonnement, sans m’aider, sans s’opposer...
Et cette fin immuable de mon rêve, devant une porte qui refuse de s’ouvrir, ne se produit jamais au même endroit !

Il y a aussi ce parc immense. Je le connais bien puisque c’est chez moi ! Il ne ressemble en aucune façon à mon “vrai” parc. Je pourrais pourtant facilement en dessiner le plan.
J’y viens quelquefois. Pas toujours dans le même coin. J’y fais des projets. Je mesure le travail à accomplir, comme dans ma réalité. Il y a toujours ce petit bois touffu, taillis inextricable, que je n’ai jamais le temps de nettoyer.
Puisque ce scénario est tellement conforme à ma vie réelle, pourquoi se déroule-t’il dans un décor totalement imaginaire, précis et parfaitement enregistré dans ma mémoire ?
Suis-je donc propriétaire d’un autre domaine, dans un“ailleurs” ?
Peut-être mène-t-on une vie parallèle à notre vie concrète ?

...voyage au pays des rêves

Plus étrange, il y a cette succession de caves et de souterrains, situés sous l’ancienne maison de mes parents, dans le midi - laquelle construite sur du roc ne comportait en réalité aucune cave!
Je pourrais décrire l’escalier d’accès, tant ma vision est précise.
J’en connais parfaitement les premieres descentes, les premières caves, immenses, pleines d’une poussière ocre et farineuse. Plus loin, plus bas, c’est flou, ça se perd.
J’ai peur... une peur qui me prend aux tripes et me glace.
J’ai peur, parce que JE SAIS.
Je sais que quelque part là-dedans, va se découvrir un autre escalier de pierre, que je serai obligé de descendre et que le long de cet escalier, dans la paroi de droite, dans une sorte de niche, il y a les restes de MON MORT. Celui qu’un jour, j’ai tué.
Oh ! Sans doute involontairement... je crois... je ne sais plus au juste... mais IL est là.
Personne ne le sait, mais moi, je sais. Je sais qu’un jour, on le découvrira et que j’aurai des comptes à rendre.
Alors j’ai peur. Atrocement peur... et je me réveille ! Ouf !

Cauchemar ! Bon. Mais pourquoi revenait-il si souvent dans ma vie nocturne, habituellement si paisible ? Pourquoi cette précision du lieu, d’un lieu qui ne pouvait pas exister ? Pourquoi cette angoisse ? Ai-je vraiment tué quelqu’un sans même le savoir? Est-ce un remords ?
Peut-être n’est-ce que le souvenir de ce malheureux hérisson que, dans la chambre de mon enfance, j’avais rendu malade, faute de soins et que j’avais enfoncé à demi mort dans une boite de conserve pour m’en débarrasser dans la poubelle et dont l’oeil me regardait avec reproche. Evénement d’enfant, choc émotif, amplification du souvenir, culpabilisation ?
Sans doute n’est-ce que cela. Ma conviction me rassure.
Vraiment ?...

Ce rêve affreux est devenu rare, très rare même et je sais que maintenant, ma volonté peut s’y opposer. Que je peux refuser de descendre ce maudit escalier et que je peux, tout simplement, me balader dans d’autres galeries tout aussi sinistres, mais où il n’y a pas de cadavre !
Pourquoi maintenant ?
Suis-je exorcisé ? Ai-je expié ?

Le rêve... quelle étrange chose ! Il y a des rêves répétitifs, véritables scénarios qui hantent la mémoire.
Pourquoi se déclenchent-ils ?

Plus fréquents, il y a les mini-rêves du dernier sommeil, qui surgissent presque quotidiennement à la frontière du réveil.
J’aime retrouver dans tous les petits faits et gestes de la veille, dans tous les objets que l’on a pu côtoyer, et même dans les conversations, les éléments constitutifs de ces mini-rêves.
Avec un peu d’habitude et à condition de se livrer à cet exercice dès le réveil, on arrive à des résultats surprenants.
C’est un peu comme un puzzle à l’envers : on part d’un semblant d’histoire et on cherche à la décomposer en fragments issus de multiples détails du “vécu” de la veille.
Par quel processus, ces éléments le plus souvent mineurs, sans intérêt, ont-ils pu s’amalgamer, se combiner pour former une sorte de petit film cohérent mais peu vraisemblable, sinon complètement surréaliste ? Et plus étonnant, pourquoi ces éléments là et pas d’autres infiniment plus notables ?
Ce processus pourrait s’apparenter à la “restructuration” de la mémoire d’un disque dur d’ordinateur !

Rêves... images virtuelles. Notre vie n’est-elle constituée que d’images abstraites ?
Les gens vivent de plus en plus à travers des images virtuelles et s’identifient à elles : Télévision, cinéma, vidéo, photo, les gens sont chevaliers ou princes, gangsters ou héros, suivant leurs goûts, leurs complexes, leurs aspirations... le degré de médiocrité de leurs existences pour de vrai.

La vie, elle-même, n’est-elle autre chose qu’une succession d’images virtuelles ?
La vie, c’est 20, 50, 80 ans de souvenirs, bons ou mauvais.
Des millions d’images virtuelles stockées dans le “disque mou” de la mémoire humaine, alors que l’existence réelle n’est qu’un enchaînement de fractions de secondes d’instants présents, aussitôt transformés en images virtuelles, la fraction de secondes suivante.
L’avenir aussi ne se projette qu’en images abstraites, dessinées, non par la mémoire, mais par l’imagination.
Envisagez-vous d’aller visiter la Grèce ? Avez-vous des projets professionnels ou d’aménagement de votre nouvel appartement ?
Tout cela se traduit quasi instantanément par un défilé d’images colorées, élaborées par le cerveau, que l’on peut parcourir, modifier à sa guise et qui n’ont en général que bien peu de rapports avec la future réalité concrète !
Je connais des gens incapables de prendre une décision, tant que l’image mythique de l’objectif n’est pas stabilisée.

Mais, quelle est la nature de ces pixels immatériels ?
Ou se cachent-t’ils ? Pourquoi ne peut-on les visionner sur un écran ?

Ma pensée quitte le rêve.
Elle erre, au hasard, où elle veut. Elle tourne les pages, s’arrête un instant, repart. Je la laisse faire. Si je la retenais, si je la guidais, ce serai la fin de cet “état second”, si précieux, si fugace.
Ce serai le vrai réveil...définitif. Le plongeon dans le rationnel.