samedi 30 janvier 2010

BAIN DE FOULE

DUBROVNIK
rue principale
15 juin 1988
15 h 30
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La photo d’une foule m’a toujours fascinée.
Pas ces multitudes innombrables photographiées à La Mecque, en Afrique ou en Asie, à l’occasion de ces immenses rassemblements religieux ou protestataires et qui s’apparentent à des défilés d’insectes, ou à un tas de pixels !
Non ! mais plutôt ces petites foules de gens rassemblés par le hasard, d’une façon aléatoire, où les individus sont bien visibles, presque identifiables,.
Un événement commun peut avoir justifié leur présence en un temps et un lieu uniques.
Par exemple : touristes sur un site renommé, ou simple foule déambulant sur une grande avenue, un dimanche ensoleillé.

Regardez ces centaines d’individus stoppés net dans le temps de leur existence et figés sur le lieu ou ils se trouvent en cet instant précis.
Quelques fractions de temps plus tard ils ne seront plus là et leur existence se poursuivra ailleurs.
Ils n’auront même pas conscience d’avoir laissé une empreinte indélébile et incontestable dans l’espace/temps, même virtuellement !

Passionnant sujet de méditation.
La banalisation de la photo nous a fait perdre la portée philosophique de cet “arrêt sur image”.


Regardez cette foule photographiée dans l’ancienne cité de Raguse.
Probablement un mélange de touristes, d’habitants de la ville et sans doute des visiteurs de passage.
Cet individu, À gauche, en chemisette orange, d’où vient-il ? Où va-t’il ? Qui est-il ? Simple employé local ? Médecin ? Mafieux en vadrouille ? Bon père de famille ? Peut-être que demain il sera mort ? ou bien qu’il poursuivra sa croisière vers Alexandrie ?

Peut-être connait-il la belle élégante en jaune ? Peut-être qu’il va la rencontrer beaucoup plus tard, sans savoir qu’ils se sont croisés là, à cet instant ?

Et cette fille en blanc à l’allure sportive, courre-t’elle vers un rendez-vous amoureux, ou est-elle en retard à son cours de musique ?
Et ce jeune couple, penché sur leur petite fillette. Qu’est-elle devenue aujourd’hui ? Mariée et mère de famille... ou pute dans un bordel du Caire... ou pianiste internationale réputée ?
Et cette petite vieille en bleu, toute courbée ? Sans doute, n’est-elle plus de ce monde...

Cet arrêt dans l’espace/temps est’il si immuable qu’il y parait ?
Je suis certain que vous n’aviez pas remarqué sur la photo précédente cette femme à la belle jupe verte avec son petit gamin !
Bien évidemment puisqu’elle n’était pas là...
Elle aurait pu y être avec quelques 27 ans de plus.
En fait, elle était dans une rue de Naples en... 1961 !

Passionnant d’imaginer l’existence de tous ces gens anonymes, plus de vingt ans plus tard, d’imaginer leur destin dont on ne saura jamais rien, que l’on ne reverra jamais... à moins que peut-être...