jeudi 16 janvier 2014

Télémacabre

Ou l'interview des morts-vivants.

Une belle fille élancée, aux gestes vifs et  gracieux,
Prototype de la chinoise urbaine, éduquée, d'aujourd'hui.
Son visage est ouvert, son regard noir intelligent..
Ses gestes en harmonie.
On imagine sa peau mate et veloutée.
Elle s'installe confortablement dans son fauteuil et regarde le monde
à travers l'objectif qui la vise.

En face d'elle vient un homme.
Il est encadré et maintenu aux avants-bras par deux policiers
aux uniformes gris-bleus impeccables, gantés de blanc.
Leurs mâchoires sont bloquées.
Leur regard est fixe, totalement inexpressif.
Ils sont ailleurs.

L'homme, menotté, tremble. On l'assied.
Il pleure. Son visage est ravagé. Les larmes coulent abondamment
le long de ses joues.
Il sue l'angoisse et la peur.
Dans une courte fraction de temps, il sait qu'il sera mort.

Cette scène est le début d'une vidéo découverte par hasard,
dans l'arborescence d' internet.
C'est l'interview d'une brochette de condamnés, quelques instants
avant leur exécution.
C'est pour la bonne cause. L'éducation du peuple, l'exemple.

Hallucinant, cette belle fille saine et vivante harcelant ces êtres à moitié détruits".
"Que ressens-tu en pensant à ton voisin que tu as tué ?
"Tu penses à sa famille, à ses enfants ?….
" Oui" hoquette l'autre dans un sanglot .
"Et toi, madame Y, tu n'as pas honte d'avoir tué ton mari ?"
"Il me violait et me battait…
Alors j'ai commis une grosse erreur…"etc.
Arrive un autre condamné...
Puis une dizaine d'autres, filmés en gros plans.
Les questions fusent :
"Et toi, tu as volé le peuple.
Tu t'es enrichi sur son dos, tu as corrompu, etc.
Ce ne sont pas les termes exacts, mais l'esprit
de cette téléréalité.
En final, comme des écoliers, en rang, ils cheminent vers leur mort.

Voulant revoir cette vidéo qui m'a révulsée, je ne l'ai plus trouvée,
L'écran noir inscrit: "cette vidéo n'existe pas."
L' émission, régulièrement suivie depuis cinq ans par de nombreux citoyens,
viens d'être supprimée par les autorités chinoises et la vidéo censurée…
Du temps de Mao, on envoyait à la famille de l'exécuté la facture de la balle tueuse !...