samedi 12 mars 2011

RAYMONDE...un destin

Dans cette zone trouble du réveil, se mêlent rêves, fantômes du passé, soucis du jour, projets infaisables, dans un malstrom d’images mythiques dont la conscience redevenant consciente, parvient enfin à coordonner.
Cet état dure assez longtemps chez moi !
De ce fatras d’images émerge une pensée dominante qui occupe entièrement l’esprit, au retour de la lucidité.
C’est dans cet état que je souhaite retracer le destin d’une fille qui fut, d’une certaine façon,
la grande sœur de mon enfance.

Elle s’appelait Raymonde (beurkh !). Raymonde D.
Plus âgée que moi, fille unique, elle habitait avec ses parents sur l’autre rive de la rue du Regard, à côté du grand séminaire.
Je n’ai aucun souvenir des circonstances de notre première rencontre, ni pourquoi elle s’est attaché à moi, traversant fréquemment la rue pour venir jouer dans l’immense salon Empire de mes parents !
Peut-être qu’elle me considérait comme une sorte de poupée vivante ?
Bref ! On s’amusait bien ensemble.

Brunette élancée, dynamique, pleine d’entrain et de gaîté.
Un peu « garçon manqué »
Elle me persuada un jour d’échanger mon beau tank en tôle peinte qui crachait des étincelles contre son lapin-peluche !
Je ne pouvais rien lui refuser…
C’était sans doute l’époque difficile de mon enfance ou la petite sœur promise ne vit jamais le jour.

Et puis, la guerre. La drôle de guerre…
Exilé à Cauterets, puis à Pau, nous sommes passé de l’enfance à l’adolescence.
J’ai retrouvé Raymonde à mon retour à Paris, en pleine “occupation“.

C’était le temps des surprises-parties de salon et du swing.
Petites génuflexions rythmées sur un bruit de semelles en bois, sous l’œil vigilant de parents attendris.
Un soir, revenant dans la nuit noire, nous descendions la rue de Rennes, bras dessus, bras dessous.
Raymonde au milieu, moi à gauche, un copain à sa droite.
On commentait la soirée.
J’étais agacé par un genre de macho baraqué qui ne dansait pas et était resté toute la soirée appuyé à la cheminée, entouré d’une collection de groupies subjuguées par son verbe.
Je n’ai pas remarqué, me dit Raymonde.
J’insistais.
Non, je ne vois pas qui c’est !
Il était pourtant bien visible, ce mec !
Un reflet de lune… Le mec, c’était l’autre, à son bras…
La gaffe.
D’autant plus, qu’elle m’appris que c’était son fiancé et qu’ils allaient bientôt se marier.
Bon ! Passons.

Le jour de leur mariage, j’étais cloué au lit par une de ces inévitables maladies d’enfance…
Un peu tardive.
Je n’oublierais jamais.
Raymonde, en robe blanche de mariée, traversa la rue pour venir m’embrasser dans mon lit de douleur.
Cette fois, la page était tournée.
Adieu enfance, Adieu jeunesse.

Un peu plus tard, nous habitions sur la péniche familiale, stationnée sur les berges de la Seine,
à Soisy.
Mon père craignait avec juste raison les bombardements aériens des alliés, comme des allemands, sur Paris.
En fait, nous étions copieusement arrosés par les Spitfires de la RAF, volant en rase Seine et mitraillant tout, m’obligeant une fois à plonger sous la péniche pour échapper aux balles.

C’était l’été.
Je patrouillais la forêt de Sénart, à la recherche de grenouilles et de couleuvres.
Je faisais aussi beaucoup de vélo, avec mon copain Gérard.
Je savais que Raymonde et son mari exploitaient une grande ferme, près de Melun,
sur le plateau de Cesson.
Je décidais de les revoir.

Il fallait traverser cette large plaine agricole, lieu d’une intense bataille de chars.
Des dizaines de chars éventrés.
Une persistante odeur de cadavre.
Des milliers de petits obus jonchaient le sol.
J’en ramassais un sac plein que j’ai jeté dans la Seine, quelques années plus tard, après avoir fait sauter un détonateur qui a traversé mon bureau et s’est fiché dans le sol de ma chambre, au fond d’un grand trou .

La ferme de Raymonde était belle.
Typique de ces fermes d’Ile de France, témoins d’une agriculture traditionnelle et prospère.
Deux énormes chiens-loups beuglèrent en guise d’accueil.
Pas méchants.
Raymonde semblait heureuse de ma visite.
Avait-elle des enfants ? Je ne sais. Je ne m’en souviens plus.
Dans la conversation, elle nous informa qu’ils avaient vendu la ferme et qu’ils allaient partir pour la Rhodésie.
Stupeur.
Oui, le rêve Rhodésien !
L’espoir pour toute une génération bercée par l’image de ce petit paradis de la colonisation britannique.
Ce n’était pas encore les Trente Glorieuses et la France morose et restrictive n’offrait pas de perspectives alléchantes.

Je ne la revis plus.
Moi-même je partis en 47, pour une année de stage à Londres.
C’est là que j’appris que Raymonde ne connu jamais son rêve Rhodésien.
Son avion s’y écrasa à l’atterrissage.